ACTE 4 SCENE 3

ACTE 4 SCENE 3

SCENE III. – CYPHER, HONORE, CYPRIS.

 

CYPHER

Pourriez-vous me lâcher afin que j’aille ouvrir ?

 

HONORE

Soit, mais je vous préviens : n’allez pas vous enfuir !

 

CYPHER, entrebâille la porte et reconnaît Cypris. S’adressant à lui :

C’est toi ! Il était temps !

Puis, à Honoré.

J’ouvre. Vous permettez ?

 

HONORE, qui, pendant ce temps, se sert un verre de Vieux Marc.

Faites comme chez vous !

 

CYPHER, à Honoré.

Je vous en prie, goutez !

A Cypris.

J’ai peur !

 

CYPRIS, à Cypher.

Tu vas mourir !

 

CYPHER, proposant un verre à son ami.

Je sais…

 

CYPRIS

Pauvre ingénu !

Pour m’enivrer céans je ne suis point venu !

 

CYPHER

Un Vieux Marc excellent ! Accepte cette tasse !

Parlant bas.

Aide-moi, s’il te plaît ! Cet homme me menace !

 

CYPRIS défouraille son épée et, d’un coup sec, envoie la tasse se briser au sol.

Tu vas mourir !

 

CYPHER

Parbleu, serais-tu aliéné ?

Il remplit une autre tasse qu’il propose pour la deuxième fois à son ami.

Goûte ceci plutôt que de me taquiner !

Il ne manquerait plus qu’en jouant tu me blesse !

 

CYPRIS, qui réitère son geste ;

Tu vas mourir !

 

CYPHER

Cypris, j’aimerais que tu cesses

Au plus vite, à présent, ces sots enfantillages !

Est-ce bien sérieux, tout de même, à ton âge !

 

CYPRIS

Silence, impertinent ! Crois-tu que je ressemble

A quelqu’un qui plaisante ?

 

CYPHER, peu impressionné.

Oh, que j’ai peur ! Je tremble !

 

CYPRIS

C’en est trop ! Tes affronts commencent à suffire.

L’heure est venue pour toi de payer, de mourir.

Pour m’avoir abusé, ton destin se termine

Dans l’enfer des damnés. Allez, meurs donc, vermine !

Il s’avance, menaçant, vers Cypher et lui porte un coup.

Cypher l’esquive et part se réfugier derrière la table.

 

CYPHER

Je rêve ! Lui aussi ? Qu’ai-je fait ?

 

CYPRIS et HONORE, ensemble.

C’est un monde !

 

CYPRIS

Fais l’innocent !

 

HONORE

Foutaise !

 

CYPHER

Attendez deux secondes…

Il tente de se diriger vers la sortie ; Cypris l’attrape au vol.

Qui sait, à tout hasard, peut-être que dehors

Un troisième enragé voudra me mettre à mort ?

 

HONORE, arrachant celui-ci des bras de Cypris.

J’étais là le premier, Monsieur. Il est à moi !

 

CYPRIS, voulant le reprendre.

Permettez, c’est le mien. Laissez-moi cette joie.

 

HONORE

Maîtrisez vos ardeurs. Le choix est crucial

A savoir qui de nous pourfendra ce chacal.

 

CYPRIS

Alors, je m’interroge, et c’est tout légitime ;

En quoi, de ce pendard, êtes-vous la victime ?

 

HONORE

La victime, Monsieur, est une demoiselle

Fort jeune, qui se trouve être sous ma tutelle.

Voici qu’hier au soir, nous étions donc jeudi,

Ma pupille, invitée dans un bal, s’y rendit.

Bien sûr, je ne pouvais décemment refuser ;

A son âge, elle peut quelquefois s’amuser !

Sa jeunesse exigeant que quelqu’un l’accompagne,

J’étais également reçu chez sa compagne.

Or, je ne pus me rendre à cette sauterie ;

Un ordre me retînt à la ferblanterie.

Là, ma nièce esseulée eût, bien sûr, grande peine.

Je lui dis : mon enfant, mais qu’à cela ne tienne !

Tu peux bien te distraire en te privant de moi ;

Nous valserons ensemble une prochaine fois.

Tu seras surement en bonne compagnie !

Je ne soupçonnais point encor l’ignominie,

La luxure exécrable, immorale et gratuite

Dont ma nièce serait victime par la suite,

Tout cela du seul fait de l’extrême insolence

D’un jeune galopin qui lui fît des avances !

Qu’elle a dû refuser, d’ailleurs. Je la connais !

Elle n’est point sujette à sourire aux minets.

Pas même refroidi par son échec cuisant,

Ce tordu persista ainsi qu’un ver nuisant.

C’est ainsi qu’aujourd’hui, je fus assez colère

Quand j’eus vent de certains élans épistolaires.

Lorsque je parcourus ce tissu de poison,

De rage, je faillis tomber en pamoison.

Jamais je n’ai pu lire autant d’irrévérence ;

Je sentais dépassé mon seuil de tolérance.

Voici vingt ans que j’ai sous ma protection

Cette nièce pour qui j’ai grande affection

Et je ne puis souffrir qu’on lui fasse du mal.

Je suis son seul parent ! Ce me semble normal !

 

CYPRIS

Et l’auteur ?

 

 

HONORE, montrant Cypher du doigt.

Il est là !

 

CYPHER

Balivernes !

 

HONORE

Je veux

Qu’il ne lui ait touché pas même un seul cheveu !

 

CYPRIS

C’est assez déplaisant, certes, je vous l’accorde.

Puis il se rue sur Cypher.

Ah, donne-moi ton cou afin que je le torde !

 

HONORE, qui tente de le maîtriser.

Halte-là ! Pas si vite. Expliquez-vous, d’abord !

Mais je crois deviner qu’il vous a fait du tort…

 

CYPRIS

Du tort, avez-vous dit ? C’est un doux euphémisme

Et j’ai, quant à ses jours, le plus grand pessimisme !

Vous vouliez que je parle, et bien parlons, si fait !

C’est aussi dans un bal qu’a eu lieu le forfait.

Pourrai-je l’avouer ? Baisse les yeux, galeux !

Tu voulais me ravir ma promise, hein ? Dis-le !

 

CYPHER

Qui, moi ?

 

HONORE

Décidément !

 

CYPRIS

Tais-toi, fourbe menteur !

Tu n’es qu’un scélérat, qu’un vil usurpateur !

Je t’entends pérorer, tu fais de belles phrases ;

Tu parles pour parler ! Et tu causes, tu jases !

Aujourd’hui seulement, je m’aperçois bien tard

Que j’ai trop écouté ce sinistre vantard.

Devant vous, tout penaud, il fait noble figure,

Mais derrière, en secret, c’est un traître, un parjure !

Pourquoi donc le bon Dieu t’a-t-il mis sur ma route ?

Tu me sors par les yeux ! Vraiment, tu me dégoûtes !

Tout au long de ta vie facile et misérable,

Tu n’as fait qu’escroquer. C’est mesquin, c’est minable !

Jamais tu ne pourras aimer ni ressentir ;

La tâche est trop ardue, partant, mieux vaut mentir !

C’est plus simple, en effet, et bien plus accessible !

Dire la vérité ? Voyons, c’est impossible !

A cette tricherie, tous les coups sont permis,

Y compris, pourquoi pas, de tromper ses amis !

C’est ainsi qu’hier, seul, au cours de la soirée,

Je marchais çà et là ; l’âme triste, j’errais.

Soudain, je remarquais au fond de la bâtisse

Une fille aux yeux clairs, belle comme un solstice.

Je n’osais lui parler ; j’étais ému, bien sûr.

Mais plus tard dans la nuit, nous eûmes aventure.

Hagard, je contemplais cette exquise Psyché ;

Mon regard captivé ne put s’en détacher.

J’étais comme enivré, dans un état second ;

Mes tempes palpitaient, mon cœur faisait des bonds.

Une étrange chaleur, pressante mais divine,

Envahissait soudain mon étroite poitrine,

Au point de la brûler du feu de mon amour,

Au point de l’éclater, au point de non retour.

Ivre d’un bonheur fou, j’avouais sans tarder

Mon intime secret. Mieux valut le garder !

Que ne me suis-je tu !

 

HONORE

Oui, puisqu’en l’occurrence,

Ce judas est venu vous faire concurrence.

 

CYPRIS

Ce qui me rend fébrile et quelque peu nerveux !

Vous entendez, Monsieur, pourquoi je lui en veux ?

 

HONORE

Je conviens que cet homme est gravement fautif

Et vous avez raison d’être vindicatif.

 

CYPRIS

C’est un écervelé maléfique !

 

HONORE

Un vaurien !

 

CYPRIS

Un ragondin puant !

 

HONORE

Un bourreau prétorien !

 

CYPHER

C’est trop de flatteries, ces qualificatifs !

Pourquoi tant de rancœur ? Je vous sens négatifs !

 

CYPRIS

Tu trahis bassement tes amis, sans vergogne !

Faudrait-il applaudir à tes viles besognes ?

 

CYPHER

Qu’allez-vous inventer ? La lettre, ton histoire ?

 

CYPRIS

N’essaie pas de nier ! Qui donc voudrait te croire ?

Si j’étais seul encore à demander des comptes,

Mais non ! Nous sommes deux, et tu clames sans honte

Que nous avons menti ? Dis-toi bien que ni lui,

Ni moi, ne sommes nés de la dernière pluie !

 

CYPHER

Je répète pourtant que ce dont on m’accuse

Est pure calomnie, qu’entière je récuse.

 

CYPRIS

Ça, c’est toi qui le dis ; tout prouve le contraire !

 

CYPHER

Oh oui, le drame est là ! Et je n’y puis rien faire !

 

HONORE

Pour conclure à tout va, notre accusé, en somme,

Est sans doute un gandin mais n’est pas un surhomme,

Et j’en déduis qu’il faille au plus vite l’occire,

Afin qu’au monde entier il ne puisse plus nuire.

Je m’en charge.

 

CYPRIS

Laissez !

 

HONORE

Croyez-vous ? Ca me gêne !

 

CYPRIS

Quel chichi ! A quoi bon vous donner cette peine ?

 

 

HONORE

Tout de même, il faudra que l’un de nous s’engage !

 

 

CYPRIS

Puisque, finalement, rien ne nous départage,

Le sort décidera…

 

HONORE

Et nous irons plus vite !

Cypris ramasse deux morceaux de paille. Il les cache dans sa main et tend les extrémités visibles vers Honoré.

 

CYPRIS

Choisissez !

 

HONORE, ne sachant pas laquelle choisir.

Non… Oui… Non ! Choisissez, vous ! J’hésite !

Il prend les deux pailles et, à son tour, les propose à Cypris.

 

CYPRIS

J’opte pour celle-ci !

 

HONORE

La longue ; c’est gagné !

 

CYPHER

C’est à toi que revient le droit de me saigner !

 

HONORE

J’accepte ce tirage à la condition,

Et ne quémandez point d’autre explication,

Que, si de ce combat, vous sortez le vainqueur,

Vous me cédiez le corps de Cypher tout à l’heure.

 

CYPRIS

Si je gagne ? Entendu ! C’est ce que je ferai.

A Cypher.

Et toi ? Mais que fais-tu ? Va prendre ton fleuret

Au lieu d’écarquiller des mirettes hagardes !

Ça y est ? Tu es fin prêt ?

 

CYPHER

Oui. A nous deux !

 

CYPRIS

En garde !

 

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