ACTE 3 SCENE 5

ACTE 3 SCENE 5

SCENE V. – ELISE, DOMINIQUE

 

Elise s’affaire dans sa chambre tandis que Dominique arrive.

 

ELISE

C’était un mendiant affamé, n’est-ce pas,

Ou bien ces assommants témoins de Jéhovah ?

 

DOMINIQUE

Non, j’y serais encor !

 

ELISE

Certes, c’est un peu court.

Alors ?

 

DOMINIQUE

C’est une lettre… A mon avis, d’amour,

De la part de Cypris, qui doit être remise

A… Vous le devinez !

 

ELISE

Les choses se précisent !

 

DOMINIQUE

Le porteur suppliant m’a sommé de promettre

Qu’en aucune façon je ne devrai remettre

A quiconque ce soit la lettre énigmatique ;

Je ne puis la céder qu’à la seule Angélique.

Je le lui ai promis, bien entendu.

 

Il tend le courrier à sa maîtresse.

Tenez !

 

ELISE, s’emparant du billet.

C’est fort bien avisé. Parfois, vous m’étonnez !

« A remettre en mains propres » ! Pour sûr, c’est tout comme !

Cypris doutait de moi ! Il intriguait, en somme.

Ce poltron n’a pas tort car j’ouvre cette lettre.

Arrachons le cachet… Que me cache ce traître ?

Comprenez qu’en effet, si je veux me venger,

Le contenu ne puit me rester étranger.

Le valet lit également par-dessus son épaule.

Intéressant ! Chapeau ! C’est du meilleur effet !

Le propos de Cypris est charmant. C’est un fait.

Le style est relevé, correcte est l’orthographe.

Et ce texte est signé par un sobre paraphe.

Cette stance, pourtant, a beau être subtile,

Elle est sans intérêt et m’est bien inutile.

 

DOMINIQUE, parlant bas.

Le « C » de son prénom… Il se peut galvauder…

En toute modestie, c’est une bonne idée.

 

ELISE

Qu’avez-vous remarqué ?

 

DOMINIQUE

Il semble, à l’évidence,

Que ce pli bienvenu soit une providence,

Et s’il n’était qu’un mot banal et anodin,

Vous pourriez le brûler non sans quelque dédain.

Mais ce brave Cypris en voulait autrement ;

Il vient de vous donner la clé du châtiment.

 

ELISE

Qu’a-t-il donc, ce billet ?

 

DOMINIQUE

Il est fort téméraire ;

Il compromet l’auteur et son destinataire.

L’infortuné Cypris y fait des confidences

Qui ne manqueront point d’avoir des conséquences.

Il s’éprend d’Angélique et lui jure sa flamme ;

Par-dessus le marché, il incite Madame

A le voir en secret, au mépris d’Honoré.

Admettez, n’est-ce pas, que c’est exagéré !

Il persiste, plus loin, se proclamant l’unique

A pouvoir hériter de l’amour d’Angélique.

 

ELISE

Comment penserait-il un instant le contraire ?

La preuve est, en effet, le long baiser d’hier.

 

DOMINIQUE

Soit. Puis notre amoureux soudainement espère

Que la fille, en fuyant, délaissera son père.

Et les mots sont choisis !

 

ELISE

Oui, son verbe est agile !

Je cite : « Ce tyran… Ce vieil homme sénile »,

Et l’on en trouve ainsi tout au long de la lettre.

 

DOMINIQUE

Mais, c’est désobligeant, voire insolent, peut-être !

Je n’ose imaginer son père courroucé

Lisant la félonie !

 

ELISE

Il en sera blessé !

 

DOMINIQUE

Blessé ? Exaspéré ! Hors de lui ! Fou de rage !

Il voudra réparer ce violent outrage !

Il porte sur sa fille un œil très vigilant

Et ne pourra souffrir l’affront de ce galant.

 

ELISE

Quand à sa protégée, je suppose et je crains

Qu’elle soit, plus que moi, noyée dans le chagrin.

Rien ne sert de vexer l’honneur d’un militaire

Avec quelque billet stupide et téméraire.

 

DOMINIQUE

Il ne daignera point châtier Angélique.

 

ELISE

Vraiment ? Cypris, alors !

 

DOMINIQUE

Non… soyez plus cynique !

C’est Cypher qu’il tuera.

 

 

ELISE

Pourquoi ? Je ne suis plus.

Qu’il tuât Sieur Cypris ne m’aurait point déplu.

N’a-t-il pas détourné ma plus fidèle amie

Devenant, de ce fait, aussi un ennemi

Dont je dois me venger ?

 

DOMINIQUE

Mais au cours de ce bal,

N’est-il point un garçon qui vous fit plus de mal ?

 

ELISE

Un bien méchant larron !

 

DOMINIQUE

C’est pourquoi je suggère

Que l’auteur du billet se prénomme Cypher !

 

ELISE

Comment le pourriez-vous ?

 

DOMINIQUE

Ah, Maîtresse incrédule !

Cette page est signée ?

 

ELISE

Oui, d’un « C » majuscule.

 

DOMINIQUE

Un « C » comme Cypris ?

 

ELISE

Bien…

 

DOMINIQUE

J’en fais mon affaire.

 

ELISE

Ah, fichtre, je saisis ! Un « C » comme Cypher !

 

DOMINIQUE

Absolument !

 

ELISE

Et puis ?

 

DOMINIQUE

Du calme, je m’explique.

Jusque là, ce billet était pour Angélique

Qui ne le lira point car enfin, la décence

Exige que son père en prenne connaissance.

 

ELISE

Je commence à saisir le piège que se trame !

 

DOMINIQUE

Tout invite à penser qu’un petit bout de femme

En dépit de son cran, de sa ténacité,

Ne pourrait parvenir au trépas souhaité.

Il se peut, néanmoins, qu’en votre lieu et place,

Quelqu’un de compétent se dévoue et le fasse.

Et j’ai beau retourner mon esprit torturé,

Il ne me vient qu’un nom : c’est celui d’Honoré.

Vous lui livrez ce pli pour le mettre au parfum ;

 

ELISE

Mais rajoutons d’abord le prénom du défunt.

Elle inscrit les lettres du patronyme de Cypher.

« Y, P, H, E, R ». Et voilà, c’est signé !

Désormais, noir sur blanc, l’auteur est désigné.

 

DOMINIQUE, prenant la lettre.

Chez ce brave Honoré je m’en vais l’amener ;

La moutarde aussitôt lui montera au nez.

 

ELISE

Que c’est fin ! Quel talent ! Si ! Je viens de comprendre !

 

DOMINIQUE

Et le tour est joué ! Vous n’avez qu’à attendre

Qu’il aille provoquer, pour laver son honneur,

En combat singulier notre vrai faux auteur !

Puisqu’accusé à tort, il voudra se défendre,

Mais l’autre, à mon avis, se passera d’entendre.

Inévitablement, le duel aura lieu

Et je crois qu’Honoré doit se battre bien mieux.

Son maniement des armes, c’est un militaire,

Devrait avoir raison d’un si veule adversaire.

La bataille est truquée, si bien qu’à son issue,

L’ancien sur le plus jeune aura pris le dessus.

Cypher aura payé de sa propre existence

Le mal qu’il vous a fait, toute cette souffrance.

C’est le crime parfait ! Alors, qu’en dites-vous ?

 

 

ELISE

Votre plan est solide et, ma foi, tient debout.

Si Cypher est l’objet de ces desseins funestes,

Les autres, croyez-moi, ne seront pas en reste.

Angélique et Cypris payeront leur tribut

Et pourront regretter leurs sordides abus.

Là, je serai vengée de tous ces hypocrites.

Pour l’heure, ce courrier doit partir au plus vite.

 

DOMINIQUE

Je m’en charge.

 

ELISE

J’ai faim !

 

DOMINIQUE

C’est servi, en principe.

 

ELISE

Alors, au déjeuner ! Faites venir Philippe.

Dominique sort de la chambre pendant qu’un autre valet s’affaire autour de la table. Elise rejoint ce dernier et Philippe entre par le côté opposé.

 

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