ACTE 2 SCENE 2

SCENE II. – CYPRIS, CYPHER.

 

CYPRIS

Voilà ce bon Cypher qui vient m’entretenir.

Ce champagne divin te ferait-il plaisir ?

 

CYPHER

Avec joie, mon ami, verse m’en une larme,

Et pour jaser, fuyons ce lancinant vacarme.

 

CYPRIS

Je vous ai vus tantôt, ta moitié et toi-même,

Dansant fort joliment. Quel gracieux tandem !

Vous valsiez tendrement, l’un dans les bras de l’autre ;

Du changement d’humeur, serais-tu donc l’apôtre ?

 

CYPHER

Détrompes-toi, mon cher ; tu es là dans l’erreur :

Elise, depuis peu, est bien loin de mon cœur.

Je me suis efforcé, non sans difficulté,

De lui ouvrir les yeux, mais cette cécité

Est, à mon grand regret, sans nul doute incurable.

 

CYPRIS

Ah, vraiment, cette Elise ! Elle est inénarrable !

 

CYPHER

J’eus droit à tous les mots ; j’étais lâche, odieux,

Et, je lui concédai la danse d’adieux.

Rien de plus. C’est pourquoi, tu m’as vu avec elle,

Sur un air enlevé, l’entraîner pêle-mêle.

 

CYPRIS

Dès lors, je cerne mieux ta subtile attitude ;

En maître tu agis, comme à ton habitude.

Du temps que tu valsais, j’ai fait la connaissance

D’une fille esseulée, très belle à l’évidence.

Quelque peu médusé par cette créature,

J’en voudrais faire aussi mon amante future.

 

CYPHER

Aurais-tu entrepris un semblant de conquête ?

 

CYPRIS

J’ai tenté, mais en vain : c’est une forte tête,

Qui me tient en respect.

CYPHER

Est-ce définitif ?

 

CYPRIS

J’en ai crainte et ne puis qu’être dubitatif

Devant un tel succès que je n’ose espérer

Etant, tu le sais bien, beaucoup trop timoré.

J’ai peur de regarder en face son minois.

Non… Vraiment, cette fille est trop belle pour moi.

Elle est très grande amie, m’a-t-elle confié,

D’Elise.

 

CYPHER

Ah, c’est moins bien ! Tu dois t’en méfier.

Et comment ta future âme sœur se prénomme ?

 

CYPRIS

Angélique. Un prénom qui la décrit, en somme.

Mais apprends toutefois qu’elle vit sous l’emprise

D’un père despotique. Ainsi, mon entreprise

Est vouée à l’échec, hélas, inéluctable :

Je n’aurai point son cœur. Tant pis !

 

CYPHER

C’est peu probable…

 

CYPHER

Je le sais par avance !

 

CYPHER

Allons, quel défaitisme !

Quand donc choisiras-tu le camp de l’optimisme ?

L’avenir t’appartient : tu es jeune et solide ;

Tu présentes fort bien, ton regard est limpide.

Il est grand temps pour toi de prendre à bras le corps

Cette vie prometteuse et davantage encore.

Tous les jours, tous les soirs, le chemin sinueux

Que tu daignes poursuivre est pourtant fructueux.

Et ces fruits attrayants, mords-les à pleines dents ;

Les laisser se flétrir serait bien impudent.

Ecoute ce conseil qui n’est pas compliqué :

Cueille toutes les fleurs et fais-t’en des bouquets !

Leurs charmes délicats sauront bien t’émouvoir.

La sève de l’amour se peut sans cesse boire.

De jacinthe en arum, d’iris en violette,

Tu amoncelleras d’exaltantes cueillettes,

Et le goût te viendra, mieux qu’une chasse à cour,

De traquer sans répit l’insaisissable Amour.

Entame, dès ce soir cette course effrénée ;

Angélique est en feu mais n’est point calcinée !

 

CYPRIS

Je ne puis qu’applaudir ce discours éloquent.

 

CYPHER

Alors, si j’entends bien, j’ai été convaincant.

Et, puisque tu choisis le chemin que j’estime

Le plus fastidieux, mais le non moins sublime,

Tu goûteras tantôt, je l’espère ardemment,

Aux intenses plaisirs de l’intrépide amant.

 

CYPRIS

J’avoue que mon attente, à la tienne est semblable,

Mais cette hâblerie est-elle raisonnable ?

Le ludique hasard de l’amour éphémère,

A la longue, devient ennuyeux et amer.

On ne peut s’amuser trop longtemps à sa guise

Avec les sentiments car les nôtres s’épuisent.

Admets que le combat, d’ailleurs, est inégal

Quand le joueur est seul face à maintes rivales

Qui ne disputeront qu’une partie chacune,

Alors que lui se doit de n’en manquer aucune.

Un vétuste bonheur, assez triste, de fait,

Fera de ses exploits le bien maigre trophée.

Un jour, fatalement, lassé par les conquêtes,

D’un amour plus constant il se mettra en quête.

Mais, ayant trop souvent, durant son existence,

Trompé ces cœurs, meurtris par autant d’inconstance,

Sans même aucun regret trahi son entourage

Par la déloyauté de son libertinage,

Ces fleurs qu’il ravissait jadis, lins et lilas

L’enverront sur les roses, le planteront là.

Pour aimer une fille avec ferveur, je crois

Qu’il n’en faille choyer qu’une seule à la fois.

Puis pense tout de même à ta tranquillité ;

Une femme déjà suffit pour la gâter.

Deux, allez, passe encor. Trois, ça devient atroce.

Quatre, c’est un enfer ; cinq, c’est un sacerdoce !

 

CYPHER

C’est ton opinion. Elle est fort respectable

Bien qu’elle soit pourtant quelque peu discutable.

Par ces dames, tous deux, nous sommes captivés

Mais très différemment, pour elles, motivés.

J’en voudrais soutirer l’extrême jouissance…

 

CYPRIS

Tandis que, de l’Amour, je recherche l’essence !

Nous avons sur ce point des avis divergents ;

Ton propos, néanmoins, était encourageant.

Il m’a revigoré dans ma quête amoureuse

Qui, bien que pimentée, n’est que plus savoureuse.

 

CYPHER

Soit ! Je n’en demandais vraiment pas davantage,

Et je veux bien laisser de côté nos clivages,

Puisqu’enfin, tu connais ce qu’il te reste à faire.

Angélique t’attend…

 

CYPRIS

Ca, c’est une autre affaire !

 

CYPHER, proposant une coupe de champagne à Cypris.

Un petit remontant ? Mais tu trembles, carcasse !

 

CYPRIS, saisissant la coupe en tremblant.

C’est le trac.

 

CYPHER

Allons donc ! Mon cher, on se surpasse !

Philippe vient rejoindre ses compagnons depuis la salle du buffet.

 

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