SCENE II. – PHILIPPE, ELISE, DOMINIQUE.
Philippe, suivi du valet, entre bruyamment dans la chambre d’Elise.
Celle-ci achève de se coiffer devant une psyché.
PHILIPPE
Votre valet, Madame, et c’est inadmissible,
S’est permis d’abréger mon sommeil, fort paisible,
Qui, suite à votre bal, n’était pas inutile.
Je lui ai demandé quel était son mobile !
Le bougre a rétorqué, si j’ai bonne mémoire :
« Monsieur, dépêchez-vous ; Madame veut vous voir ».
Je me suis donc hâté d’enfiler mes guenilles
Pensant même à brosser mes souliers pour qu’ils brillent,
Ceci dans le plus grand souci de promptitude.
Voulez-vous, à présent, m’expliquer l’attitude
De ce piètre laquais qui s’en vînt m’empresser
Alors que, de surcroît, rien ne semble presser ?
ELISE, en train de s’apprêter.
Voilà, je suis à vous. Apaisez-vous, mon cher !
Maîtrisez ce courroux qui n’est pas nécessaire
Puisque mon serviteur n’a fait que m’obéir.
Aussi, je vous prierais de ne point le haïr.
PHILIPPE
Comment ? En m’éveillant, il a fait son travail ?
ELISE
Pas plus !
PHILIPPE
Il a fini ?
ELISE
On dirait…
PHILIPPE
Qu’il s’en aille !
Puis, feignant de gifler le valet.
Ah, tu mériterais !
ELISE, à Dominique
Si j’ai besoin de vous,
Je vous appellerai. Maintenant, laissez-nous.
Dominique se retire.
PHILIPPE
Excusez mon humeur. Je suis peu matinal.
Vous me voyez nerveux mais c’est chose normale.
ELISE
Je voulais simplement connaître votre avis
Sur ma réception. En fûtes-vous ravi ?
Philippe semble surpris par cette question.
Vous restez bouche bée… Je le conçois sans peine,
Mais votre point de vue me tenait en haleine.
PHILIPPE
Puisque de mon idée vous aviez la hantise,
Il me faut, à mon tour, parler avec franchise.
C’était, tout bien pesé, un superbe gala
Dans lequel, à mon sens, le talent excella.
C’est ce qui en ressort. Je le clame sans peur
Et je salue bien bas ce terrible labeur !
Tout n’était que saveur, que douceurs et délices,
Ces mets assaisonnés, ces piquantes épices,
Les alcools liquoreux et les vins gouleyants,
Les fleurs éparpillées aux parfums chatoyants,
Ces danses variées, celles que je préfère !
J’accourrais sur le champ si c’était à refaire !
ELISE
Je suis votre obligée par ces propos flatteurs
Qui me sont délicats et me vont droit au cœur.
PHILIPPE
Je dis la vérité !
ELISE
Certes, mais c’est la vôtre ;
J’aurais aimé savoir ce qu’ont pensé les autres.
PHILIPPE
Je puis vous garantir qu’au seul vu des frimousses,
Ce gala, croyez-le, fut le bonheur de tous.
Un triomphe ! Un succès ! Personne, cette nuit,
Ne semblait se terrer dans un mortel ennui.
ELISE
Ce vin était si bon ?
PHILIPPE
Oh, j’en sais quelque chose !
Il fut, de ce banquet, le clou, l’apothéose !
Si j’en ai raffolé ? Quel bouquet parfumé !
ELISE
Il me plaît de savoir que vous l’avez aimé
Et si bien, m’a-t-on dit et même répété,
Que vous avez frôlé l’état d’ébriété.
Alors, efforcez-vous d’être un brin moins flatteur ;
Vous risquez de passer pour un fieffé menteur.
PHILIPPE
Je défends mon honneur ! Enfin, je suis formel !
Je vous ai confié ce qu’ont vu mes prunelles.
ELISE
Figurez-vous, mon cher, que l’un de vos amis
Tenait, devant vos yeux, galante compagnie
A une autre invitée. Tout le monde prétend
Qu’ils se seraient, en outre, embrassés fort longtemps.
Mais vous qui étiez là, sis aux premières loges,
Pouvez-vous confirmer ? Oui, je vous interroge !
Je les connais, bien sûr, mais j’aurai le cœur net
Quant à savoir si vous me contiez des sornettes,
En jurant vos grands dieux, et la main sur le cœur,
De n’avoir rien manqué… Surtout pas la liqueur !
PHILIPPE, en aparté.
Quelqu’un, si j’entends bien, a rompu le silence ;
Qui lui aurait livré de telles confidences ?
A Elise.
C’est Cypher, n’est-ce pas ?
ELISE
Non ! Cypher ? Lui ? Vraiment ?
PHILIPPE
Il ne sait pas tenir sa langue, assurément !
ELISE
Déjà !
PHILIPPE
Que voulez-vous ! Cet homme est peu discret !
En voici un exemple on ne peut plus concret.
ELISE
Ma flamme…
PHILIPPE
Tout à fait, il a vendu la mèche !
ELISE, à elle-même.
Cypher ! Le renégat !
À Philippe.
Avec quelle pimbêche ?
PHILIPPE
Et vous n’ignorez point, ce me semble logique,
Que la fille en question se prénomme Angélique ?
ELISE, feignant d’être au courant.
Oui, cela va de soi.
PHILIPPE
Il fallait le prévoir !
ELISE
Je suis, tout comme vous, au fait de cette histoire,
Mais j’aurai désormais la ferme certitude
Que vous n’exprimiez point de viles platitudes
En louant ma soirée. Cette sincérité
Gage parfaitement votre sobriété.
Qu’avez-vous projeté pour l’heure du repas ?
PHILIPPE
Je vais bien sagement revenir sur mes pas
Afin de regagner ma modeste demeure.
ELISE
Je puis vous proposer une idée bien meilleure :
On met votre couvert et vous restez ici.
PHILIPPE
Ce serait abuser !
ELISE
Allons, j’insiste. Si !
Cela nous changera les idées, n’est-ce pas ?
PHILIPPE
J’accepte.
ELISE
Dominique !
Le valet accourt dans la chambre et, sa maitresse s’adressant à lui :
Où en est le repas ?
DOMINIQUE
Tout est prêt.
ELISE
Qu’est-ce donc ?
DOMINIQUE
De la langue.
ELISE
J’enrage !
Laissez-la de côté. Mettez-nous deux potages.
A Philippe.
Faites, en attendant, tout ce qu’il vous plaira
Et, le moment venu, quelqu’un vous préviendra.
Philippe se retire de la chambre.
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