ACTE 3 SCENE 2

ACTE 3 SCENE 2

SCENE II. – PHILIPPE, ELISE, DOMINIQUE.

 

Philippe, suivi du valet, entre bruyamment dans la chambre d’Elise.

Celle-ci achève de se coiffer devant une psyché.

 

PHILIPPE

Votre valet, Madame, et c’est inadmissible,

S’est permis d’abréger mon sommeil, fort paisible,

Qui, suite à votre bal, n’était pas inutile.

Je lui ai demandé quel était son mobile !

Le bougre a rétorqué, si j’ai bonne mémoire :

« Monsieur, dépêchez-vous ; Madame veut vous voir ».

Je me suis donc hâté d’enfiler mes guenilles

Pensant même à brosser mes souliers pour qu’ils brillent,

Ceci dans le plus grand souci de promptitude.

Voulez-vous, à présent, m’expliquer l’attitude

De ce piètre laquais qui s’en vînt m’empresser

Alors que, de surcroît, rien ne semble presser ?

 

ELISE, en train de s’apprêter.

Voilà, je suis à vous. Apaisez-vous, mon cher !

Maîtrisez ce courroux qui n’est pas nécessaire

Puisque mon serviteur n’a fait que m’obéir.

Aussi, je vous prierais de ne point le haïr.

 

PHILIPPE

Comment ? En m’éveillant, il a fait son travail ?

 

ELISE

Pas plus !

 

PHILIPPE

Il a fini ?

 

ELISE

On dirait…

 

PHILIPPE

Qu’il s’en aille !

Puis, feignant de gifler le valet.

Ah, tu mériterais !

 

ELISE, à Dominique

Si j’ai besoin de vous,

Je vous appellerai. Maintenant, laissez-nous.

Dominique se retire.

PHILIPPE

Excusez mon humeur. Je suis peu matinal.

Vous me voyez nerveux mais c’est chose normale.

 

ELISE

Je voulais simplement connaître votre avis

Sur ma réception. En fûtes-vous ravi ?

Philippe semble surpris par cette question.

Vous restez bouche bée… Je le conçois sans peine,

Mais votre point de vue me tenait en haleine.

 

PHILIPPE

Puisque de mon idée vous aviez la hantise,

Il me faut, à mon tour, parler avec franchise.

C’était, tout bien pesé, un superbe gala

Dans lequel, à mon sens, le talent excella.

C’est ce qui en ressort. Je le clame sans peur

Et je salue bien bas ce terrible labeur !

Tout n’était que saveur, que douceurs et délices,

Ces mets assaisonnés, ces piquantes épices,

Les alcools liquoreux et les vins gouleyants,

Les fleurs éparpillées aux parfums chatoyants,

Ces danses variées, celles que je préfère !

J’accourrais sur le champ si c’était à refaire !

 

ELISE

Je suis votre obligée par ces propos flatteurs

Qui me sont délicats et me vont droit au cœur.

 

PHILIPPE

Je dis la vérité !

 

ELISE

Certes, mais c’est la vôtre ;

J’aurais aimé savoir ce qu’ont pensé les autres.

 

PHILIPPE

Je puis vous garantir qu’au seul vu des frimousses,

Ce gala, croyez-le, fut le bonheur de tous.

Un triomphe ! Un succès ! Personne, cette nuit,

Ne semblait se terrer dans un mortel ennui.

 

ELISE

Ce vin était si bon ?

 

PHILIPPE

Oh, j’en sais quelque chose !

Il fut, de ce banquet, le clou, l’apothéose !

Si j’en ai raffolé ? Quel bouquet parfumé !

 

ELISE

Il me plaît de savoir que vous l’avez aimé

Et si bien, m’a-t-on dit et même répété,

Que vous avez frôlé l’état d’ébriété.

Alors, efforcez-vous d’être un brin moins flatteur ;

Vous risquez de passer pour un fieffé menteur.

 

PHILIPPE

Je défends mon honneur ! Enfin, je suis formel !

Je vous ai confié ce qu’ont vu mes prunelles.

 

ELISE

Figurez-vous, mon cher, que l’un de vos amis

Tenait, devant vos yeux, galante compagnie

A une autre invitée. Tout le monde prétend

Qu’ils se seraient, en outre, embrassés fort longtemps.

Mais vous qui étiez là, sis aux premières loges,

Pouvez-vous confirmer ? Oui, je vous interroge !

Je les connais, bien sûr, mais j’aurai le cœur net

Quant à savoir si vous me contiez des sornettes,

En jurant vos grands dieux, et la main sur le cœur,

De n’avoir rien manqué… Surtout pas la liqueur !

 

PHILIPPE, en aparté.

Quelqu’un, si j’entends bien, a rompu le silence ;

Qui lui aurait livré de telles confidences ?

A Elise.

C’est Cypher, n’est-ce pas ?

 

ELISE

Non ! Cypher ? Lui ? Vraiment ?

 

PHILIPPE

Il ne sait pas tenir sa langue, assurément !

 

ELISE

Déjà !

 

PHILIPPE

Que voulez-vous ! Cet homme est peu discret !

En voici un exemple on ne peut plus concret.

 

ELISE

Ma flamme…

 

PHILIPPE

Tout à fait, il a vendu la mèche !

 

ELISE, à elle-même.

Cypher ! Le renégat !

À Philippe.

Avec quelle pimbêche ?

 

PHILIPPE

Et vous n’ignorez point, ce me semble logique,

Que la fille en question se prénomme Angélique ?

 

ELISE, feignant d’être au courant.

Oui, cela va de soi.

 

PHILIPPE

Il fallait le prévoir !

 

ELISE

Je suis, tout comme vous, au fait de cette histoire,

Mais j’aurai désormais la ferme certitude

Que vous n’exprimiez point de viles platitudes

En louant ma soirée. Cette sincérité

Gage parfaitement votre sobriété.

Qu’avez-vous projeté pour l’heure du repas ?

 

PHILIPPE

Je vais bien sagement revenir sur mes pas

Afin de regagner ma modeste demeure.

 

ELISE

Je puis vous proposer une idée bien meilleure :

On met votre couvert et vous restez ici.

 

PHILIPPE

Ce serait abuser !

 

ELISE

Allons, j’insiste. Si !

Cela nous changera les idées, n’est-ce pas ?

 

PHILIPPE

J’accepte.

 

ELISE

Dominique !

Le valet accourt dans la chambre et, sa maitresse s’adressant à lui :

Où en est le repas ?

 

DOMINIQUE

Tout est prêt.

 

ELISE

Qu’est-ce donc ?

 

DOMINIQUE

De la langue.

 

ELISE

J’enrage !

Laissez-la de côté. Mettez-nous deux potages.

A Philippe.

Faites, en attendant, tout ce qu’il vous plaira

Et, le moment venu, quelqu’un vous préviendra.

Philippe se retire de la chambre.

 

Créer un site gratuit avec e-monsite - Signaler un contenu illicite sur ce site

×