SCENE VI. – ELISE, PHILIPPE, UN VALET.
Un riche couvert est dressé pour deux sur une table immense.
ELISE
Installez-vous, mon cher.
PHILIPPE
Oui, mais où m’a-t-on mis ?
ELISE
Là où il vous plaira. Point de cérémonie !
Elise et Philippe s’installent aux deux extrémités les plus éloignées de la table.
On vous sert ?
Philippe acquiesce et le valet s’exécute.
PHILIPPE
Là, merci !
Puis il vient servir Elise.
ELISE
Mais il faut vous nourrir,
Sans quoi, mon pauvre ami, vous allez dépérir !
Ce vin vous tente-t-il ? Ou bien de l’eau, alors ?
PHILIPPE
Ça jamais ! J’en mourrais !
Elle désigne la bouteille et interroge Philippe du regard.
ELISE
Un soupçon ?
PHILIPPE
C’est d’accord.
Elle fait signe au valet d’aller servir Philippe.
ELISE
Bon appétit !
PHILIPPE
De même.
ELISE
Il manque un peu de sel.
La salière se trouve du côté de Philippe.
Faites-la donc glisser !
Il l’expédie vers Elise.
La soupe vous plaît-elle ?
PHILIPPE
Et comment !
ELISE, agitant la salière.
C’est le fond ! En voulez-vous aussi ?
Elle remarque que l’assiette de Philippe est déjà vide.
Vous avez terminé ! Un peu plus ?
PHILIPPE
Non merci !
ELISE
Si, pour finir le sel !
PHILIPPE
A vos ordres, j’abdique.
ELISE
Vous me disiez tantôt que la belle Angélique
Avait eu des rapports assez particuliers
Avec un invité. Je vous crois volontiers.
Baste qu’un tel forfait se fît à mon insu ;
Inutile à présent de revenir dessus.
Tout à l’heure, avec moi, vous parliez sans détour,
En toute honnêteté. Maintenant, c’est mon tour
D’être franche avec vous.
PHILIPPE
Vous voilà sérieuse !
ELISE
Oui, Philippe. En effet, je serais curieuse
D’entendre votre avis si je vous informais
Que Cypher expédie des lettres enflammées ?
PHILIPPE
Oh, rien n’est étonnant ! Pour ça, il a le chic !
ELISE
Oui, mais tenez-vous bien : j’ai nommé Angélique.
PHILIPPE
Que me dites-vous là ? Comment est-ce possible ?
ELISE
Mais c’est la vérité, cruelle et intangible !
Figurez-vous, mon cher, qu’après votre départ,
Un valet, ce matin, est venu de sa part
Apportant un billet, comme je vous l’explique,
Qui était destiné à…
PHILIPPE
Non !
ELISE
Si !
PHILIPPE
Angélique ?
ELISE
Oui. Vous n’ignorez point, ou de moins, je le pense,
Que Cypher a pour moi quelque peu d’importance.
Et là, ce que j’ai fait n’était pas convenable !
J’en suis coupable certes, mais pas responsable !
A quoi bon vous mentir ? Je n’ai pu m’empêcher
En voyant ce billet d’en ôter le cachet.
PHILIPPE
Vous avez fait cela ?
ELISE
Tout à fait.
PHILIPPE
C’est horrible !
ELISE
Je sais… Ce que j’ai lu était bien plus terrible !
En survolant d’un œil ce papier malheureux,
Je sentais le discours d’un Cypher amoureux.
Je ne vous dirai point combien cette lecture
Fut atroce à mon cœur. Mon Dieu, quelle torture !
Si bien que de douleur, dans un accès dément,
J’ai détruit sans regret l’infâme document.
De l’évoquer ainsi, j’en tremble, j’en pâlis.
PHILIPPE
Madame, calmez-vous !
ELISE
Mon honneur est sali !
PHILIPPE
Je l’avais averti pourtant, je vous assure,
Qu’Angélique et Cypris avaient eu aventure.
Que Cypher soit volage et distrait, c’est cocasse,
Mais trahir son ami, enfin ! Ca me dépasse !
ELISE
Quoi, trahir son ami ? C’est tout ce qui vous choque ?
Et moi, qu’il m’ait trompée, tout le monde s’en moque !
PHILIPPE
Non ! Ce n’est pas vraiment ce que j’ai voulu dire,
Mais pour vous, je savais !
ELISE
Je devrais vous maudire !
A bien vous écouter, vous venez de prétendre
Qu’il m’a déjà trompée, ou je dois mal entendre ?
PHILIPPE
Non ! Je sauvais !
ELISE
Sauvais ? Sauvais quoi ?
PHILIPPE, embarrassé.
Euh… Le coup !
Le… Cou…pable ! C’est lui ! Voilà, un point c’est tout !
C’est tout ce que j’ai dit. Ah, comme il me dégoûte !
ELISE
Puissiez-vous dire vrai… Tout de même, je doute !
PHILIPPE
Etonnant, renversant ! Je suis abasourdi !
Quel inique complot Cypher a-t-il ourdi
Contre son compagnon ? C’est bizarre… Il me semble
Qu’hier au soir encore, ils plaisantaient ensemble.
Je n’entends rien, vraiment !
ELISE
Et moi donc !
PHILIPPE
C’est un drame,
Car c’est contre Cypris que tout ceci se trame !
ELISE
Ma foi, c’en est ainsi ! Que pouvons-nous bien faire
Contre la trahison qu’a machinée Cypher ?
PHILIPPE
Il la faut empêcher en courant au plus vite
Rendre compte à Cypris de la lettre maudite,
L’informer prestement que Cypher le talonne
Et dénoncer surtout ses intrigues félonnes.
Mais Cypris est placide ; il a trop bonne humeur
Pour qu’il ne se résolve à croire en ces rumeurs.
Cypher est son ami, un confident, un proche !
ELISE
Il y a tout de même un os, une anicroche !
PHILIPPE
Aussi faut-il agir. Je suis dans l’embarras,
Mais il faut déjouer ce complot scélérat.
Je m’en vais de ce pas, en tout état de cause,
Prévenir mon ami de cette abjecte chose.
Les deux hommes se croisent en se regardant méchamment.
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