SCENE IV. – ANGELIQUE, CYPRIS, PHILIPPE en retrait.
ANGELIQUE
Mon dieu ! Que vous semblez mari, mélancolique !
Ne prenez point cet air pour le moins dramatique !
CYPRIS
A qui le dois-je, aussi ?
ANGELIQUE
Serais-je à l’origine
Du désenchantement, du chagrin qui vous mine ?
Si tel étais le cas, j’en serais trop confuse
Et vous prierais, Monsieur, d’accepter mes excuses.
Croyez bien qu’il n’est pas dans mon tempérament
De blesser sans raison, tout gratuitement.
CYPRIS
Mais voyons, chère amie, pourquoi vous excuser
De m’avoir, selon vous, aigri, désabusé ?
Je ne puis accepter ce vibrant témoignage
De votre modestie. C’est un trop grand hommage
Que, généreusement, vous daignez bien m’offrir.
Et si l’un de nous deux devait se repentir,
Ce n’est certes pas vous, mais moi-même, vraiment,
Qui vous ai tout à l’heure approchée gauchement.
ANGELIQUE
Je nie la gaucherie dont vous faites état ;
Quand bien même elle en fût, je n’en ferais point cas.
Oublions, s’il vous plaît, ces phrases fortuites.
Je suppose, Cypris, quand tantôt vous me vîtes
Que votre incursion n’avait point pour objet
La critique impromptue de votre seul sujet.
N’aviez-vous point l’espoir de me dire autre chose,
Un espoir ébranlé par ma froideur morose ?
CYPRIS
Certes, quand je vous vis, je m’apprêtais alors
A vous faire un aveu, mais fallait-il encore
Dominer mon courage et braver mon audace.
Si je fus maladroit, veillez m’en faire grâce.
ANGELIQUE
Poursuivez, mon ami. C’est bien trop d’élégance !
CYPRIS
Puisque vous m’y poussez, j’obéis ; je me lance.
Je ne sais quelle flamme en mes veines, ce soir,
Se diffuse, maligne, à mon grand désespoir.
Mon sang ne fait qu’un tour et ma poitrine éclate
Quand j’admire, étourdi, vos lèvres écarlates
Que le velours discret d’un sourire entrebâille,
Laissant jaillir les feux du scintillant émail,
Où s’échappent les sons d’exquises mélodies,
Les arpèges fluets de votre rhapsodie.
Et comment ignorer vos divines prunelles ?
Peut-on les oublier ces saphirs où se mêlent
Les paillettes dorées du flamboyant métal,
Jaunissant les reflets bleutés de leur cristal ?
L’ombre de vos longs cils s’y calque en filigrane,
Tel un voile léger sur leur jour diaphane.
Vous êtes, sans mentir, un hymne à la beauté
Que Vénus, elle-même, aurait pu convoiter !
ANGELIQUE
Vous me gênez, Cypris !
CYPRIS
Je veux votre clémence !
Ma flamme à votre égard, Angélique, est immense !
Votre infinie splendeur est le plus beau récif
Sur lequel ma raison s’éventre, frêle esquif
Sans dérive, sans mât, voguant sans gouvernail,
Qui s’en va s’échouer sur votre blanc corail.
Bravant les flots déments, chacun de vos soupirs,
Ainsi qu’un ouragan malmène ce navire.
O poison assassin ! Vos effluves ambrées
Le submergent. Bientôt, il s’en ira sombrer
Dans l’abime béant des glauques profondeurs,
D’où remontent, vers lui, d’angoissantes froideurs.
Il s’enfonce, à présent. Rattrapez-le, Madame !
Sans votre prompt secours, je péris corps et âme.
CYPRIS, voyant Angélique fondre en larmes.
Sirène, vous pleurez ? Vous causez mon naufrage !
Puis-je encore espérer un tardif sauvetage ?
ANGELIQUE
Assez, je vous en prie ! Vos paroles m’atterrent ;
Je veux votre serment, vos sentiments sincères.
CYPRIS
Je renais !
ANGELIQUE
S’il vous plaît, Cypris ! Epargnez-moi !
CYPRIS
Pourquoi dissimuler plus longtemps votre émoi ?
ANGELIQUE
Vous êtes le portrait de l’Amour en personne !
CYPRIS
Vous la Grâce incarnée, somptueuse madone !
ANGELIQUE
J’ai des frissons glacés, le front brûlant de fièvre…
CYPRIS
Puis-je, pour le guérir, l’effleurer de mes lèvres ?
Cypris dépose un baiser sur le front d’Angélique.
Philippe, qui est revenu dans la salle des danseurs, le remarque aussitôt.
PHILIPPE, à lui-même.
Cypris est, dirait-on, en pose sérieuse !
Ils sont mignons tout plein ! Elle semble amoureuse !
ANGELIQUE
Ah, que n’ai-je entendu plus tôt cette chanson !
Je la veux écouter sur n’importe quel ton.
Si, par malheur, mon père a vent de cette flamme !
CYPRIS
Angélique ! A quoi bon envisager tels drames ?
N’ayez crainte, ma mie ; bien noirs sont vos présages !
Pensez à maintenant ; faites en bon usage
Et laissez vos soucis croupir aux oubliettes.
Je resterai discret comme une violette
Vis-à-vis des mouchards, garant de notre amour ;
Mais puis-je, cependant, espérer en retour
Un mutisme total à l’encontre d’Elise
Qui pourrait aisément retourner sa chemise
Si quelque bruit, perçant de vos lèvres vermeilles,
Trouvait le moindre écho à ses fines oreilles ?
ANGELIQUE
Ce que vous désirez, ce que vous attendez
De ma part, vous sera par avance accordé.
Dussé-je être damnée ! Tant pis ! Je vous adore !
CYPRIS
J’en ai l’esprit troublé… Embrassez-moi encore !
Demain, mon messager vous fera parvenir
Un billet des plus doux que j’aurai soin d’écrire.
PHILIPPE, à lui-même.
Quel spectacle touchant que mes yeux ont pu voir !
L’incrédule Cypher ne voudra pas me croire.
Il part à la recherche de Cypher
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